, Mais c'est précisément cet abandon du visible qui déclenche la catastrophe. Pour résumer les choses, on pourrait dire que le conflit tragique dans la Mariane est la résultante d'une inversion des ordres du regard : en travestissant l'émotion vraie initiée par l'oeil, Salomé et L'Échanson exacerbent celle-ci chez Hérode, et le refus de Mariane de se prêter au spectacle parachève l'opération. Le trop plein de vision dont Hérode hérite opère une transfusion mémorielle ; la mémoire des émotions de Mariane s, Fermer les yeux équivaut à abandonner la réflexion -dans les deux sens du terme -au profit de l'action

, Cet objet affligeant revient pour me punir

, Et ma triste mémoire en m'offrant son image, Devient en cet endroit fidèle à mon dommage

, Elle est trop diligente à me représenter Ce qui ne me paraît que pour me tourmenter

, Et faites trop bien voir à mes sens confondus, Dans les maux que j'ai faits, les biens que j'ai perdus, Erreurs qui me causez des remords si visibles, Procédés violents, vous m'êtes trop visibles

. Mais-j'aperçois-la-reine, On voit un tour de sang dessus sa gorge nue, Elle s'élève au Ciel pleine de Majesté

, Cette réversibilité mémorielle marque chez Hérode le retour de la faculté de discernement

, Lorsque Narbal s'approche, porteur de la triste nouvelle, le Roi s'écrie : Mais un des miens s'avance, et je vois mes malheurs, Tracés sur son visage avec l'eau de ses pleurs, p.56

, Il réalise enfin la concordance entre son regard et le regard d'autrui. Mais il est trop tard. Là encore, la trace, la marque se situent en surimpression du regard de lucidité, que seule la catastrophe pouvait réinstaurer dans ses fonctions. Par ailleurs, cette fascination presque masochiste pour les images blessant 55 Ibid, Il réapprend à lire les signes, à interpréter les visages, p.116

. Ibid, , p.104

D. Havelange, Une histoire du regard au seuil de la modernité, Fayard, p.197, 1998.

. «-l', invisible est toujours comme figuré en pointillés dans le visible. C'est là sans doute une des choses importantes à comprendre : l'effectivité du regard donne corps à l'invisible, p.196

J. Laubner, Tant de chimères et de monstres fantasques" : les visions intérieures dans les tragédies de Tristan L'Hermite, p.51

, Au milieu des combats son aile m'environne, Et d'un secours fatal qui n'est point attendu, p.61

, « sans cesse regarde ») ne rappelle-t-il pas étrangement les « mille yeux » de la Jalousie ? Ne convient-il pas de lire ici une prolepse, un signe avantcoureur de la chute, et donc de considérer une deuxième modalité de l'inscription d'un regard supérieur dans la tragédie, celui d'un avertissement ? Lorsque Hérode évoque la mort d'Aristobule tournant ses yeux vers le ciel, ne peut-on y voir, rétrospectivement, l'appel programmatique du châtiment, actualisé par cette déclaration d'Alexandra ?, À nouveau, l'interprétation est sujette à caution : ce démon bienveillant ne cause-t-il pas plutôt la perte d'Hérode ? L'itératif, p.62

O. Dans-cette, la prière de Mariane au sujet de ses enfants se comprendrait, via la métaphore de l'impression, comme la volonté sublime de relier la mémoire tragique des émotions à l'amour divin : Ta haute providence ouvrira l'oeil sur eux

, Imprime dans leurs coeurs ton amour et ta crainte, vol.63

, Mariane en appelle à l'efficacité, voire à la performativité du regard divin : Elle joignit les mains, leva les yeux en haut, Conjurant à genoux la divine Puissance De rendre manifeste à tous son innocence, p.64

, Il reviendra pour finir à Hérode d'actualiser in terra le rétablissement de l'innocence : Cieux qui voyez le tort que souffre l'innocence, Versez sur ce climat un malheur infini, p.65

, Une fois cette opération effectuée, le regard témoigne d'une logique de perpétuation : Il faut que l

. Ibid and . Iv, , vol.1, p.91

. Ibid and . Iv, , vol.4, p.98

. Ibid and . Iv, , vol.5, p.99

. Ibid, , p.107, 1528.

. Ibid, Qui soit de son mérite une marque éternelle, Un Temple qui paraisse un ouvrage immortel, p.66

, La boucle est refermée, la spirale de la violence est brisée par la dimension transcendante du regard divin, qui vient non pas racheter les péchés d'Hérode, mais du moins rétablir la justice

, Par l'icône, révérée à l'égal d'un fétiche, la temporalité se fige en une stase (« éternelle

. Expression and . De-la-mariane, Le trop plein de vision qui agresse Hérode suscite en effet une fascination qui déclenche la catastrophe tragique. Mémoire des émotions en actes, le regard piège les personnages dans l'itérativité du tourment intérieur qui renouvelle sans cesse les sources affectives que sont la terreur et la pitié, en les imprimant dans le spectateur. L'appel à l'oeil ultime -Dieu -redonne pour finir au regard sa faculté de discernement

M. Cartron,

. Le-fétiche,-loin-d'être-un-symbole, est en quelque sorte un plan fixe, une image arrêtée que le regard quitte pour toujours y revenir et ainsi toujours répéter la dénégation d'une absence, p.213

L. Marin, Des Pouvoirs de l'image, p.14, 1993.