. La-fatalité-de-la-hauteur, au prix de conserver à pareille « hauteur » son ancien nom de transcendance Dieu doit mourir pour que vivent les auteurs Nietzsche suggère que la voix de l'autorité chez Héraclite était celle en lui de la part divine. « " C'est moi-même que j'ai cherché et que j'ai tenté d'interpréter " , disait-il de lui-même en employant le mot qui définit l'interprétation d'un oracle ; comme s'il était le seul, lui et personne d'autre, { véritablement réaliser et accomplir le précepte delphique Connais-toi toimême » 51 Ce dédoublement, ce partage entre la conscience critique qui exerce la connaissance de soi et le fond divin de l'auteur qui en est l'objet, qui en lui s'exprime comme un oracle, sont supposés par la relecture nietzschéenne de soi. Aussi, quand Nietzsche tente de caractériser l'« inspiration », ne peut-il s'empêcher de recourir { des représentations anciennes, d'évoquer « la conviction de n'être qu'une incarnation

. En-tant-que-prophète-de-soi-même, il désigne par cette formule : « mes lecteurs prédestinés » 53 , sans préjuger de leur existence. D'autres formules : « Le lecteur dont j'attends quelque chose » 54 , ou encore : « C'est justement de pareils auditeurs que je pourrai me faire comprendre » 55 , malgré leur retenue, maintiennent la possibilité ténue d'une communication authentique. Il reste qu'{ l'extrême rareté du génie correspond celle des individus aptes { le comprendre. « Les géants s'interpellent { travers les intervalles désertiques de l'histoire » 56 . Le génie ne peut être entendu que d'un autre génie. Les génies ne se parlent qu'entre eux. « Si j'ai jamais songé { mes lecteurs, c'étaient des lecteurs isolés, des individus épars à travers des siècles » 57 . C'est pourquoi La Naissance de la tragédie ne peut être dédié qu'{ Wagner. S'adresser { une grande figure, p.280

. Humain and . Ii, Sur la distinction de « l'art monologué » et de « l'art devant témoins », cf. Le gai savoir, p.274

. La-relecture-de-soi-tente-de-dépasser-ce-paradoxe-dans-une-certaine-mesure-en-suscitant-le-lecteur-qui-lui-fait-défaut, Jadis le créateur cherchait des compagnons et des enfants de son espoir : or il advint qu'il ne put les trouver, { moins de ne les créer lui-même. » 70 Les lecteurs de Nietzsche sont conviés à une expérience de la lecture que le philosophe a décrite pour son propre compte, à savoir la négation de « leur moi profond, quasi enseveli, quasi réduit au silence par l'obligation constante d'écouter d'autres " moi " (et lire, est-ce autre chose ?) » 71 . Dans la lecture s'affrontent deux singularités irréductibles, mais l'une, celle de l'auteur, est censée valoir plus que l'autre

«. La-puissance-qui, est cela le grand style qui parle de lui-même. » 72 Tel est bien le ressort d'Ecce Homo Après la mort de Dieu, une fois l'Absolu dissipé, la génialité s'affirme et se fait exister elle-même dans sa position autoréférentielle. « Je vis du seul crédit que je m'accorde. » 73 Cette parole rend vain le jugement d'un public et purement adventice l'éventuelle sanction de la postérité. Elle est confortée par un aphorisme au titre significatif, « Sibi scribere », écrire pour soi-même, donc pour se relire : « L'auteur raisonnable n'écrit pas pour d'autre postérité que la sienne propre, c'est-à-dire pour sa vieillesse » 74 . Zarathoustra tient le même langage : « je vis dans ma propre lumière, je bois les flammes qui jaillissent de moi. » 75 Le créateur s'illumine lui-même dans la manifestation de sa propre gloire, il se révèle dans Ecce Homo pour ce qu'il est : causa sui, { l'instar de Dieu, et index sui, { l'instar de la vérité. Principe solaire, il s