Méthode ou métaphysique ? L'empirisme pragmatique de John Dewey - Université Jean Moulin Lyon 3 Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Critique : revue générale des publications françaises et étrangères Année : 2012

Méthode ou métaphysique ? L'empirisme pragmatique de John Dewey

Résumé

This paper aims at taking position in the debate about the possible existence of a metaphysics of experience in Dewey's works, notably in Experience and Nature (1929). Such a project is criticized by Rorty on pragmatist ground: pragmatism should not only emancipate itself from all metaphysical temptation of describing the "generic features of reality" but should cease to take the experience as its material of reflection or else it would fall into the myth of the given and the myth of the private. My position is that Rorty is right in saying that pragmatism should not be founded on a metaphysics of experience but is wrong in believing that such was Dewey's project. I give historical and theoretical reasons to justify why Dewey never really gave up the notion of experience despite its obvious difficulties, so that we should see its pragmatism as a new empiricism instead of seeing empiricism as the infant disease of pragmatism as Rorty suggests it. The main thesis is that experience does not denote any original stuff from what all the rest would be derived of but a method to solve or dissolve problems, like the experimental method in sciences. If Dewey is forced to talk about experience and its nature, it is because such a method has not yet been entrenched in philosophical practice in contrast with sciences where nobody talks about experience in general but refers only to particular experiences. The reason why it is still necessary to do so is that the very idea of experience inherited from the traditional empiricists and their adversaries is useless and obsolete, so that we need first to reconstruct it, just like we must repair a flawed instrument in order to use it effectively. Dewey's general theory about experience is thus instrumental: the philosophy of experience is subordinated to the reconstruction of the method and is accomplished with the effective use of it. In conclusion, we show that Dewey's reconstruction of the concept of experience in terms of action allows him to be free of the myths of the given and the private that could only be applied to the old concept of experience inherited from the classical empiricists and taken over by the logical empiricism that was the real target of Rorty's criticism.
Cet article entend prendre position sur l'idée couramment répandue d'une métaphysique de l'expérience chez Dewey qui devrait se substituer à la recherche traditionnelle de l'essence des choses, et dont Experience and Nature (1929) serait l'expression la plus adéquate. Rorty critique un tel projet au nom même du pragmatisme : non seulement le pragmatisme doit s'émanciper de toute tentative métaphysique de description des " traits généraux de l'existence ", mais il doit même cesser de prendre l'expérience comme matériau de base, sous peine de tomber soit dans le mythe du donné soit dans celui de l'intériorité. Ma position est que Rorty a raison de vouloir affranchir le pragmatisme de toute métaphysique de l'expérience, mais qu'il a tort de voir en Dewey le promoteur d'un tel projet. Je donne les raisons historiques et théoriques pour lesquelles Dewey n'a jamais abandonné le concept d'expérience malgré les difficultés qu'il pose, si bien qu'à ses yeux l'empirisme n'est pas la maladie infantile du pragmatisme, mais que le pragmatisme est un empirisme renouvelé. La thèse essentielle est que l'expérience ne désigne pas chez lui un matériau originaire dont le reste serait tiré, mais une méthode pour dissoudre et résoudre les problèmes, à l'image de la méthode expérimentale dans les sciences. Si Dewey éprouve le besoin de prendre l'expérience comme objet de discours, c'est simplement parce que l'expérience comme méthode n'a pas encore été intégrée dans la pratique philosophique, à la différence des sciences qui ne mentionnent plus le terme général d'expérience mais se contentent de décrire des expériences particulières. Et la raison pour laquelle cette méthode n'est pas encore pratiquée comme elle le devrait en philosophie est que la notion d'expérience que les empiristes et leurs adversaires ont léguée est défectueuse et obsolète, si bien qu'il faut d'abord la reconstruire comme on répare un instrument usé avant de pouvoir s'en servir efficacement. Le discours général que Dewey développe sur l'expérience est donc doublement instrumental : la philosophie de l'expérience est subordonnée à la reconstruction d'une méthode, et elle doit s'effacer avec la mise au point puis l'application de celle-ci. Nous montrons pour finir que la reconstruction du concept d'expérience en termes d'action que propose Dewey le fait précisément échapper aux deux mythes du donné et de l'intériorité, qui n'ont jamais concerné que le concept hérité des empiristes classiques que Rorty retrouvait dans l'empirisme logique.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-00919460 , version 1 (16-12-2013)

Identifiants

Citer

Stéphane Madelrieux. Méthode ou métaphysique ? L'empirisme pragmatique de John Dewey. Critique : revue générale des publications françaises et étrangères, 2012, 2012-12 (787), pp.1043-1058. ⟨10.3917/criti.787.1043⟩. ⟨hal-00919460⟩
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