. .. Ne-sera-jamais-levée-(, . Un-homme-va-aller-affronter-un-taureau-et-va-le-tuer, and !. Ou-bien-ce-sera-le-contraire.-l-'insupportable-inverse, 43 Tout cela aurait étonné les aficionados du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, habitués qu'ils étaient à mettre l'accent sur le courage, le sang-froid, la force du matador. La corrida ne leur semblait pas une tragédie, mais un combat mêlant la technique, l'art et l'intelligence. Pour le poète provençal Laurent Tailhade, elle permettait de montrer les qualités viriles de l'homme. Pour Oduaga- Zolarde, auteur du premier manuel taurin français en 1854, elle distinguait l'homme des bêtes et assurait sa supériorité sur elles Elle constituait la plus ingénieuse mise en scène d'une entreprise millénaire de domination sur la nature 44 . Dans cette optique, mais aussi pour contrer les opposants qui s'offusquaient du sang versé par les hommes, il était commun de souligner ses faibles dangers. Pour Oduaga, ils étaient "presque imaginaires", toujours affrontés avec prudence, sécurité, méthode "et c'est le sourire sur les lèvres et un calme orgueil dans le regard qu'il (le matador) étend à ses pieds, d'un coup d'épée, le monstre fougueux et mugissant". Les accidents n'étaient que le fruit de la témérité ou de la distraction. Cette opinion était celle d'Hemingway en 1932) : " notre art est arrivé aujourd'hui à un tel degré de certitude que nous traitons les taureaux avec autant de mépris que si c'étaient des moutons ". Ceux qui s'attardaient sur les morts étaient peu nombreux et beaucoup évoquaient avec humour des blessures souvent vite guéries 45 . Cette conception est quelquefois présente dans la seconde moitié du XXe siècle, Simone de Beauvoir traite le danger de "mythe" et Claude Popelin de légende, mais elle est devenue minoritaire bien qu'elle soit approuvée par des toreros célèbres. Dominguin considère que le matador ne pense pas plus à la blessure que l'automobiliste à l'accident, que la corrida se termine naturellement par la mort du taureau sans quoi il n'y aurait guère de volontaires, Théophile Gautier ou de Charles Davillier qui citait une phrase du torero Pepe Hillo Ordonez affirme qu'il ne vit pas avec la peur au ventre, 1911.

F. De-même and L. Cour-se-s-de-taureaux-en-france, 45 Idem Voyage en Espagne (1843), éd . 1964 , p.3 18 ; Voyage en Espagne (1862), éd B le s s u r e s : H. MONTHERLANT, Best i a i r e s , op.c i t . , p. 163 ; de même V. BLASCO IBANEZ, Arènes sang l an t e s , éd . 1921 , p. 143 ; E. HE- MINGWAY, idem, p. 1222 . 46 La for ce des chose s (1963), éd, pp.9-10, 1081.

. Le, les aspects les plus sulfureux du discours d'avant 1939 (l'amoralisme, le sadisme, la recherche de l'homme vrai (Bataille) ou du surhomme (Montherlant)), furent minorés par les nouvelles générations artistiques et intellectuelles au profit de l'esthétisme, du sacrifice religieux et du risque de mort, celui-ci profitant de l'interrogation sur la condition humaine menée, par exemple, par la philosophie existentialiste ou la littérature de l'absurde. Cocteau illustre bien ce glissement. Ses écrits évoquèrent l'art, la métaphore sexuelle et la tragédie : la corrida était une noce où l'homme et le taureau, ambassadeur de la mort, s'attiraient et se craignaient, s'aimaient et se rejetaient dans la succession des passes. Le torero éloignait la "Dame blanche " en tuant l'animal, pp.35-59, 1945.

H. , M. M. Le-ir-i-s, . L. Miro-i-r, . Boyer-g, . Bata et al., Va jouer avec cet te pouss i è r e p. 1 8-19 Miche l Le i r i s , Ed. Un i v e r s i t a i r e s, pp.18-93082, 1946.

M. Surya and G. Bata, Pi ca s s o . . , op.c i t Let t r e s au cas t o r, pp.57-71, 1196.

. Un-film,-l-'apprentissage-de-la-mort, du toreo de près qu'il inventait au même moment, insistant sur l'angoisse, la peur, le trépas, l'analogie avec l'amour. L'évocation du risque de mort n'était pas vraiment nouvelle : Cuchares (1818-1868) affirmait quelquefois que la meilleure suerte (série de passes) était celle qui lui permettait de rentrer chez lui Mais il revint à Belmonte de l'insérer dans une vision d'ensemble, de la dramatiser par le nouveau toreo et de la transmettre aux intellectuels. Depuis, les matadors, dont les plus célèbres fréquentent les milieux artistiques, intellectuels ou mondains 55 , hésitent souvent entre leurs convictions personnelles (qui leur fait accepter l'esthétisme, la collaboration avec le taureau, mais refuser la sensualité, jugée trop proche de la bestialité, et l'héroïsme suicidaire) et ce discours très porteur dans une société qui bannit progressivement la mort de sa vie quotidienne, mais se plaît à la regarder en des endroits précis, sorte de lucarnes du voyeurisme. Il est ainsi devenu le principal argument publicitaire lors de la carrière (1960-1970) d'El Cordobes, la plus médiatisée et la plus populaire du siècle. Son impresario lui fabriqua une image, vite véhiculée par les médias, de jeune contestataire de l'ordre établi, bien qu'il fût proche de Franco, flirtant avec la mort par ses fanfaronnades et ses acrobaties, alors qu'il combattait souvent des bêtes de petite taille, d'où les slogans "L'homme au plus près de la mort" ou "Seul face au danger Le dernier courant de promotion du mythe fut constitué par les aficionados qui s'en servirent plus ou moins consciemment pour profiter de l'attrait suscité par ce discours et pour endiguer un mouvement contraire des sensibilités. L'époque contemporaine est en effet marquée par une évolution des attitudes vis-à-vis du monde animal, un phénomène révélé par quelques travaux pionniers 57 , mais encore mal connu dans son développement historique exact et ses motivations, qui se traduit notamment par l'intérêt pour les animaux de compagnie, le refus croissant des mauvais traitements (du moins ceux perpétrés en public), la volonté de protéger les espèces sauvages. Or la corrida illustre ce processus souvent lent et inconscient, Belmonte rompit avec leur image traditionnelle (fêtes se lia avec des cercles artistiques madrilènes Le développement du tourisme en Espagne au XIXe siècle profita au spectacle tout en créant un facteur inattendu de transformation. Devant la réprobation croissante des étrangers, l'usage de lâcher les chiens sur les taureaux peu belliqueux fut abandonné vers 1860, celui de la media-luna (pique en croissant de lune pour couper les jarrets) en 1880 et les combats d'animaux cessèrent au début du XXe siècle. En 1928, le dictateur Primo de Rivera, qui voulait donner de l'Espagne une image de pays moderne et civilisé, rendit le caparaçon obligatoire pour le cheval, afin d'"éviter ces horribles spectacles qui répugnent tellement aux étrangers et aux touristes ". Les banderilles de feu furent supprimées par la suite chaque fois, ces changements furent violemment refusés par les aficionados qui vitupérèrent les inventions des âmes sensibles Domingu i n sympa t h i s a avec P i c a s s o , Coc t e a u , Le i r i s , Ava Gardne r , Soph i a Lo r e n . 56 M. CHAVES NOGALES, pp.577-594, 1910.

H. Montherlant, . V. Va, and . Pelosse, Cordobe s) . 57 M. AGULHONLe sang des bê t e s . Le p r o b l ème de l a p r o t e c t i o n des an i maux en Fran c e au XIXe s i è c l e " , Romant i sme Imag i n a i r e soc i a l e t p r o t e c t i o n de l ' a n i m a l . Des ami s de l ' a n X au l é g i s l a t e u r de 1850 Ce chan t i e r se déve l o p p e , vo i r K. KETE, The beast in the boudo i r : Petkeep i n g in 19th centu r y Par i s , U. Ca l i f o r n i a Pres s , 1994 . corrida 58 . C'est alors qu'ils développèrent deux défenses, à la fois vécues comme des réalités et utilisées pour préserver le combat. D'abord, à partir des années 1920, ils minimisèrent, voire nièrent la souffrance des bêtes 59 . Puis leur acceptation des réformes (étant eux-mêmes soumis à cette évolution des sensibilités mais avec un écart chronologique sensible : les décennies 1960-1970 pour le caparaçon 60 ) les obligea à soutenir que les spectateurs ne venaient pas voir la douleur et le sang, mais participer à un rite 61 . L'autre discours, plus fréquent, fut celui du danger pour l'homme et d'une certaine égalité des chances, thème qu'ils n'inventèrent pas, mais qu'ils reprirent dès les années 1950 en triant eux aussi dans le discours intellectuel initial (la sexualité, l'amoralisme, le sadisme étant le plus souvent refoulés) et qu'ils diffusèrent largement pour légitimer la corrida en réfutant les accusations de cruauté ou de combat inégal et pour masquer une réalité de plus en plus contraire. Cette stratégie a bien réussi, puisqu'elle a bloqué toute évolution depuis 1928 et imposé le mythe comme une évidence, pp.66-698, 1981.

F. Bertrand, une partie des élites nationales s'amplifia dans les décennies 1950-1960, touchant non seulement les artistes et les intellectuels, mais aussi le monde politique, la magistrature et l'Église catholique Cette évolution s'inscrit dans un mouvement contemporain de détachement de ces groupes dirigeants vis-à-vis du monde environnant dont l'histoire reste à écrire, mais qui s'illustre, par exemple, dans le succès de l'idéologie de la maîtrise de la nature (grands travaux, barrages, agriculture intensive..) ou dans une certaine marginalisation des associations de protection durant les années 1950-1960 62 Cette tendance à moyen terme allait à l'encontre de l'orientation pluri-séculaire dont nous avons parlé, tout en la prenant en compte. Car, làencore , les aspects les plus sulfureux des discours pionniers de l'entre-deux-guerre furent délaissés au profit des plus adaptés à la sensibilité ambiante, des plus acceptables par l'opinion publique : l'esthétisme et la tragédie La conversion des élites permit l'investissement des médias nationaux par les aficionados (après les régionaux au début du siècle) C'est ainsi que, dans les années 1950-1970, Auguste Lafront livra des billets à France-Soir, Jean Eparvier à L'Equipe, Jean Cau à L'Express, Yvan Audouard au Canard Enchaîné, Marcelle Auclair à Marie-Claire, etc. L'exemple du journal Le Temps, hostile à la corrida jusqu'à son sabordement en 1942, montre bien cette évolution : sa succession, organisée par Beuve-Méry en changeant le titre (Le Monde), mais en gardant la même équipe, s'accompagna d'un revirement d'attitude sous l'impulsion d'Olivier Merlin, jeune reporter au Temps, devenu chef du secrétariat de rédaction du Monde, qui fit entrer la corrida dans la rubrique "sport" dont il était le responsable 63 , avant de donner la plume aux aficionados, tel Jean Lacouture à partir de 1962. Cette 58 L. FEUILLADE, op.c i t De Biou y Toros à Toros , évo lu t i o n , act i o n et in f l u e n c e s d ' une revue tauromach ique , Maî t r i s e , Mon t pe l l i e r 3 (le s r e v u e s t a u r i n e s ) ; E. FORNAIRON, op.c i t Même r e f u s chez Mon t h e r l a n t , P i c a s s o , Hemingway . Riv e r a c i t é pa r E. HEMINGWAY, op.c i t . , T.1 p.993 . 59 H. MONTHERLANT, Best i a i r e , op.c i t Cou r r i e r des l e c t e u r s, Nous n'indiquerons ici que les grandes lignes du processus en renvoyant à ce que nous avons écrit ailleurs Ethno lo g i e frança i s e , XX Cer f Sur l e s é l i t e s e t l a co r r i d a : E. BARATAY, E. HARDOUIN-FUGIER, op. c i t . , chap .4 . 63 E. SABL IER , La créa t i o n du Monde, pp.89-9092, 1949.

. Ainsi-apparaissent-les-deux-fonctions-du-mythe, supportant de moins en moins la violence publique envers l'animal; il conforte maintenant une sociabilité méridionale qu'il a lui-même contribué à construire Bel exemple de reconstruction du passé où l'histoire est mise au service d'une finalité sociologique. 64 F i lm s (Sang et lumière s , 1953 ; Les Châteaux en Espagne , 1954), chan sons (C Aznavou r , Toréador , 1964), c r o i s s a n c e de l ' é d i t i o n depu i s l a dé cenn i e 1970 , r e t r a n sm i s s i o n s t é l é v i s é e s su r Cana l+ depu i s 1985 . 65 Sondage L. Har r i s dans C. LAURENT, Des bêtes et des hommes, C.T .H .S, p.297, 1995.